« Hébété d’eau et d’horizon » après une traversée de l’Atlantique à bord d’un porte-conteneurs, Francis Tabouret, convoyeur de chevaux, décide de repartir afin de consigner cette expérience si singulière. Traversée est rédigé comme un journal de bord, depuis Rouen jusqu’à Fort-de-France. Dans une prose précise et discrètement mélancolique, l’auteur raconte la lenteur du trajet, la monotonie alliée à la splendeur. On pourrait presque parler de voyage immobile, image chère à Giono, pour décrire cette traversée sans paysage, où la route avance avec soi (« le grand ruban défile », disent les pilotes). Récit d’un voyage, donc, mais récit d’un trajet sans exotisme, aux échanges réduits au maximum. Ce qui fascine avant tout, c’est le porte-conteneurs, mastodonte cubique qui forme microcosme : « ce qui chaque jour est grand, démesuré, ce n’est pas l’océan, c’est toujours le bateau ». Cette arche de Noé moderne accueille des hommes de tous horizons, « des hommes sur l’eau qui partent pour ne presque jamais revenir, et sans jamais arriver ailleurs », qui mènent cette vie de marin combien ritualisée (horaires fixes, placement à table prédéfini, repos et karaoké le dimanche après-midi). Qu’il soit passager ou soignant, l’auteur se fait observateur discret de la vie suspendue du bateau, regard expert du convoyeur attentif au bien-être de chaque animal.
Ce journal de bord est aussi un texte poétique ; c’est que le voyage sur la mer est une expérience verbale : le port est un « monde de mots », le porte-conteneurs possède sa langue et les cartes de navigation invitent à la rêverie sur les noms. Poétique est aussi la description de l’expérience vécue de la traversée, qui induit un certain rapport au temps — une traversée de l’Atlantique impose un changement horaire permanent — et à l’espace : « on n’est pas sur l’eau, on vogue au-dessus ». Au milieu du voyage, Francis Tabouret se demande pourquoi il n’y a pas de littérature des mers calmes : ce qui est sûr, c’est que son livre en est une émouvante illustration.
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