Depuis un an j'ai beaucoup lu de sciences humaines. Enfin beaucoup lu, je ne sais pas - ce genre de considérations, en plus de donner à celui qui l'énonce une aura symbolique, quand ce n'est pas un pouvoir (la socio apprend ça justement), est toujours très relatif - mais je m'y suis assez intéressé.
Ce sont des disciplines passionnantes et, en même temps, quelque chose me chiffonne.
Le manque de joint, de liant, de méthode, de notice, comment appréhender les postulats de la sociologie. J'apprends donc que je ne suis qu'un sujet qui se pense sujet mais qui est réalité assujetti. Tout ce que je considère être mon for intérieur, ce qui me définit, n'est, en définitive, comme le dit Pierre Bergounioux, que"du social individué". Bon. C'est sans doute vrai, c'est fracassant, mais je me demande quoi en faire.
Bourdieu dit que l'on ne peut devenir libre, authentique si l'on veut, qu'une fois avoir pris conscience de ces multiples déterminismes qui nous traversent : c'est indiscutable, c'est la condition n°1. Cependant, le plus dur reste à faire. Si tant est que notre aliénation (présence de multiples altérités en moi) soit si importante, le simple fait de le savoir permet, au mieux, une certaine lucidité (ce qui n'est déjà pas si mal, il est vrai), au pire, une grande mélancolie, mais en tout cas s'en défaire, surtout quand nous en venons au terrain hautement complexe d'un sexisme, d'un racisme ordinaire, intériorisé, ce n'est pas gagné. En bref, je trouve incommensurable la distance entre la vérité de ce qui est mis au jour, de ce qui est ainsi démasqué (mes goûts ne sont pas mes goûts, un système socio-culturel entier me transperce de part en part) et la libération, si tant est qu'on puisse/doive l'appeler comme ça, désirée. A noter que je ne préfère en rien l'ignorance, la naïveté béate.
Que faire des sciences sociales ? Que m'apprennent-elles alors ? Quelle conduite adopter une fois ce chemin de Damas accompli ?
Je repense à la première chose que j'ai apprise en entrant dans les études supérieures, arrivant à Paris depuis ma province : me taire, écouter plutôt que parler, ne pas parler à tort et à travers (douleur de la lucidité de ce que dit Bourdieu, d'ailleurs : une expression correcte est une expression corrigée, c'est ça). Apprentissage négatif.
Revenons aux sciences humaines. J'apprends donc, en lisant, que tout ce que je crois ne dépendre que de moi, que tous mes goûts sont déductibles d'une certaine histoire (je devrais dire destin) sociale. J'apprends que la fatalité n'a pas disparu avec Oedipe et les Grecs, ni avec la mort de Dieu : bien au contraire, elle n'a jamais été si vive, car le principe des sujets sociaux c'est et c'est toujours amor fati, l'amour du destin...social. Je suis condamné à aimer (c'est-à-dire intérioriser, incorporer, éprouver sensiblement) ce qui est tout tracé pour moi, non par des dieux en colère, mais par l'histoire. N'oublions pas Camus : "Si Dieu n'existe pas, rien n'est permis" car nous nous retrouvons en total matérialisme historique...
J'apprends une dernière chose - une troisième révélation tout bonnement tragique - : je peux faire du mal sans m'en rendre compte, perpétuer, prolonger des oppressions générales sans le vouloir. C'est le plus humiliant car l'on balaie d'un revers de la main notre intention.
C'est cet apprentissage tout négatif que, encore très mal dégrossi, j'ai intégré qui m'a aidé à "digérer" ces sciences humaines : ne pas tomber dans l’obscénité de celui qui monopolise la parole. Leçon à tirer de toutes les théories critiques sociétales : juste apprendre à l’ouvrir un peu moins, à laisser parler l’autre… La phrase la plus galvaudée de la sociologie le disait déjà mais on ne l'entend finalement pas assez. Quand Bourdieu dit que sa discipline était un sport de combat, il faut entendre la suite : ça sert à se défendre, pas à attaquer.
Ce sont des disciplines passionnantes et, en même temps, quelque chose me chiffonne.
Le manque de joint, de liant, de méthode, de notice, comment appréhender les postulats de la sociologie. J'apprends donc que je ne suis qu'un sujet qui se pense sujet mais qui est réalité assujetti. Tout ce que je considère être mon for intérieur, ce qui me définit, n'est, en définitive, comme le dit Pierre Bergounioux, que"du social individué". Bon. C'est sans doute vrai, c'est fracassant, mais je me demande quoi en faire.
Bourdieu dit que l'on ne peut devenir libre, authentique si l'on veut, qu'une fois avoir pris conscience de ces multiples déterminismes qui nous traversent : c'est indiscutable, c'est la condition n°1. Cependant, le plus dur reste à faire. Si tant est que notre aliénation (présence de multiples altérités en moi) soit si importante, le simple fait de le savoir permet, au mieux, une certaine lucidité (ce qui n'est déjà pas si mal, il est vrai), au pire, une grande mélancolie, mais en tout cas s'en défaire, surtout quand nous en venons au terrain hautement complexe d'un sexisme, d'un racisme ordinaire, intériorisé, ce n'est pas gagné. En bref, je trouve incommensurable la distance entre la vérité de ce qui est mis au jour, de ce qui est ainsi démasqué (mes goûts ne sont pas mes goûts, un système socio-culturel entier me transperce de part en part) et la libération, si tant est qu'on puisse/doive l'appeler comme ça, désirée. A noter que je ne préfère en rien l'ignorance, la naïveté béate.
Que faire des sciences sociales ? Que m'apprennent-elles alors ? Quelle conduite adopter une fois ce chemin de Damas accompli ?
Je repense à la première chose que j'ai apprise en entrant dans les études supérieures, arrivant à Paris depuis ma province : me taire, écouter plutôt que parler, ne pas parler à tort et à travers (douleur de la lucidité de ce que dit Bourdieu, d'ailleurs : une expression correcte est une expression corrigée, c'est ça). Apprentissage négatif.
Revenons aux sciences humaines. J'apprends donc, en lisant, que tout ce que je crois ne dépendre que de moi, que tous mes goûts sont déductibles d'une certaine histoire (je devrais dire destin) sociale. J'apprends que la fatalité n'a pas disparu avec Oedipe et les Grecs, ni avec la mort de Dieu : bien au contraire, elle n'a jamais été si vive, car le principe des sujets sociaux c'est et c'est toujours amor fati, l'amour du destin...social. Je suis condamné à aimer (c'est-à-dire intérioriser, incorporer, éprouver sensiblement) ce qui est tout tracé pour moi, non par des dieux en colère, mais par l'histoire. N'oublions pas Camus : "Si Dieu n'existe pas, rien n'est permis" car nous nous retrouvons en total matérialisme historique...
J'apprends une dernière chose - une troisième révélation tout bonnement tragique - : je peux faire du mal sans m'en rendre compte, perpétuer, prolonger des oppressions générales sans le vouloir. C'est le plus humiliant car l'on balaie d'un revers de la main notre intention.
C'est cet apprentissage tout négatif que, encore très mal dégrossi, j'ai intégré qui m'a aidé à "digérer" ces sciences humaines : ne pas tomber dans l’obscénité de celui qui monopolise la parole. Leçon à tirer de toutes les théories critiques sociétales : juste apprendre à l’ouvrir un peu moins, à laisser parler l’autre… La phrase la plus galvaudée de la sociologie le disait déjà mais on ne l'entend finalement pas assez. Quand Bourdieu dit que sa discipline était un sport de combat, il faut entendre la suite : ça sert à se défendre, pas à attaquer.
Commentaires
Enregistrer un commentaire