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#3 - Goonight Bill. Goonight Lou. Goonight May. Goonight. Ta ta*.

Rue Claude Bernard, sous un soleil bas et timide de novembre.

Viens de croiser E. en allant au café, nous discutons amicalement quelques instants, puis le moment de se séparer vient, aussi inévitable que délicat. En une minuscule poignée de secondes, un bref mot est échangé, des mains se croisent éventuellement et chacun continue sa route. Nos têtes n'arrivent pas à s'y faire, à s'adapter : il y a un déséquilibre temporel entre la densité des paroles et des regards échangés ‒quelle que soit la discussion‒ et la brièveté de l'instant où l'on se quitte. E. est déjà parti que je souffre de déréalité, j'ai autant l'impression d'être encore mentalement avec lui que de ne l'avoir jamais croisé. Le fil de ses paroles, des noms, des situations, continue de parcourir mes pensées, il est encore là ;
j'ai continué ma route, je ne le vois plus, il est déjà loin. Présence, apparition indéniable et chimérique à la fois, à cause de la rapidité violente de la séparation verbale et physique.

Rêverie sur les adieux amoureux interminables, faits de répétitions incessantes : on peut trouver ça niais, c'est au contraire le bon sens même. Il faut prendre en compte la densité et la longueur du moment, non ce qui est dit : se dire « au revoir", « à bientôt », « je t'aime, à très vite » quatre ou cinq fois d'affilée permet de compenser, de combler la frustration que les convenances ‒ en ce cas bien mal établies ‒ nous imposent.

*TS Eliot

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